Japon : changement de cap pour la politique économique ?

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Politique monétaire
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5 décembre 2025

A la suite de son élection à la tête du Parti libéral démocrate (PLD) le 4 octobre 2025, Sanae Takaichi est devenue première ministre du Japon après un vote du parlement le 21 octobre. Elle prend la suite de Shigeru Ishiba, premier ministre depuis octobre 2024, dans un contexte de mécontentement lié notamment aux fortes pressions sur les prix alimentaires (+6,5% en moyenne sur un an depuis octobre 2022, +70% d’augmentation du prix du riz en août 2025 sur un an1) et de recul du PIB au troisième trimestre 2025.

1 Depuis le début de la montée du prix du riz à la mi-2024, le glissement annuel du prix du riz est passé de 12,3% en juin 2024 à 100% en mai et juin 2025, avant de baisser à 70% en août 2025.  

2 Les trois flèches de cette politique étaient la politique monétaire, la politique budgétaire et les réformes structurelles. La faiblesse du taux d’intérêt s’avérant insuffisante pour mettre fin à la déflation, la BoJ avait eu recours à des politiques monétaires non conventionnelles (Quantitative and Qualitative Easing, taux d’intérêt négatifs, contrôle de la courbe des taux), mises en œuvre par Haruhiko Kuroda, fervent partisan d’un assouplissement et nommé par Shinzo Abe. Pour plus d’informations, voir : « Le Japon face à la déflation : quel bilan des Abenomics ? », Vlad Ciornohuz, Trésor-éco, n°184, novembre 2016.

Sanae Takachi a initialement mis l’accent sur sa volonté de mener une politique budgétaire expansionniste et d’une influence du gouvernement sur l’orientation de la politique monétaire menée par la Banque du Japon (BoJ), autant d’éléments qui rappellent le discours de Shinzo Abe, le premier ministre dont Sanae Takaichi était proche et qui a mis en place en 2013 les « Abenomics », une politique de relance budgétaire et monétaire pour sortir de la déflation, associée à des réformes structurelles pour augmenter le taux d’activité2. Néanmoins, le contexte politique est beaucoup moins favorable au parti de Sanae Takachi, qui a dû non seulement procéder à des compromis pour former une coalition, mais qui ne bénéficie pas avec ses alliés de la majorité au parlement et n’a donc pas les coudées franches pour mener une politique largement expansionniste. Ce sont les mauvaises performances économiques du troisième trimestre 2025, bien que temporaires (voir post précédent), qui permettent au gouvernement de défendre une politique budgtaire plus offensive.

Une situation économique très différente de celle de 2013 lors des Abenomics

De plus, le contexte économique n’est plus du tout le même que celui de 2013 : l’objectif de Shinzo Abe était de stimuler l’économie et de lutter contre la déflation dans laquelle le Japon était englué depuis le milieu des années 1990. Aujourd’hui, le Japon est sorti de la déflation à la suite du choc post-covid sur les prix des matières premières qui s’est transmis aux prix japonais et a eu un impact durable. Le pouvoir d’achat des ménages pâtit en effet d’une inflation comprise entre 3% et 4% (3,4% sur les huit premiers mois de l’année). Le yen s’est largement déprécié face au dollar entre 2021 et 2024 (passant de 110 yens pour un dollar à près de 160 yens), avant de se réapprécier à un niveau proche de 150 yens. La BoJ s’est plusieurs fois exprimée sur l’attention portée au bas niveau du yen et à l’impact sur le prix des produits importés.

L’inflation est désormais supérieure à 2% depuis avril 2022, ce qui n’était pas arrivée depuis 2014, lors de la hausse de 3 points du taux de la taxe sur la consommation. Elle est largement tirée par les prix de l’énergie et de l’alimentaire. L’inflation hors alimentation et énergie qui avait dépassé temporairement les 2% en 2023, s’est fixée depuis plusieurs mois autour de 1,6%, ce qui apparaît positif dans un contexte de sortie de déflation, sans faire craindre de réel dérapage inflationniste intrinsèque. Si l’on se concentre sur les contributions à l’inflation, on peut faire le même constat : celle de l’inflation hors énergie et alimentaire est de 1 point environ de pourcentage, tandis que celle de l’alimentaire et l’énergie atteint 2 points au total sur les derniers mois (graphique 1).

Graphique 1: Contributions à la croissance de l’indice des prix à la consommation

Une remontée des taux directeurs toujours prévue

A la suite de l’élection de S. Takaichi à la présidence du PLD, le taux de change s’est déprécié face au dollar, passant de 148 yens à 154 yens. Sa volonté affichée d’un rôle plus affirmé du gouvernement dans l’orientation de la politique monétaire et son discours sur la nécessité d’une politique monétaire accommodante ont en effet conduit les marchés à anticiper un maintien des taux directeurs à leur niveau actuel plus longtemps qu’attendu.

Toutefois, contrairement à Shinzo Abe, qui était arrivé au pouvoir en décembre 2012 et avait eu à nommer en mars 2013 un nouveau gouverneur de la BoJ, choisi pour mener une politique monétaire non conventionnelle3, S. Takaichi doit composer avec le gouverneur actuel, Kazuo Ueda, qui a pris ses fonctions en avril 2023 pour un mandat de cinq ans. Néanmoins, ce dernier a maintenu une politique monétaire très expansionniste, malgré la fin des taux directeurs négatifs et du contrôle de la courbe des taux et l’annonce de la réduction graduelle du bilan de la BoJ. Dans le contexte actuel de forte inflation, l’objectif est toujours une normalisation très progressive de la politique monétaire.

3 La BoJ est officiellement indépendante du gouvernement depuis 1998, mais un contact régulier est considéré comme nécessaire pour assurer que la politique monétaire et la politique économique du gouvernement sont compatibles. De plus, le gouverneur de la BoJ, tout comme les autres membres du conseil, est choisi par le gouvernement et sa candidature est ensuite validée par le parlement.

Après avoir laissé les taux directeurs inchangés à 0,5% depuis janvier 2025, la Banque centrale du Japon (BoJ) a commencé à préparer les marchés à de futures hausses de taux d’intérêt directeurs depuis plusieurs mois. Le changement de premier ministre ne devrait pas changer fondamentalement la donne. D’ailleurs, un des conseillers de Sanae Takaichi qui avait appelé début octobre 2025 à un maintien des taux à leur niveau actuel lors de la réunion du 30 octobre dernier, avait évoqué une augmentation lors de la réunion de mi-décembre. A l’issue de sa réunion du 19 septembre, la BoJ avait souligné qu’elle aurait envisagé plus sérieusement une hausse du taux directeur, si elle n’avait pris en compte que la situation économique japonaise. C’est l’incertitude concernant le ralentissement de l’économie américaine qui l’a conduite à maintenir un statu-quo sur les taux, l’économie japonaise étant particulièrement vulnérable aux chocs externes. La BoJ voulait se laisser un peu de temps pour juger des premiers impacts des tarifs douaniers américains sur les résultats des entreprises japonaises et sur l’impact potentiel sur les augmentations salariales (les premiers résultats des négociations salariales de 2026 seront connus en mars prochain).

Dans cette lignée, lors de la dernière réunion des 29 et 30 octobre dernier, la BoJ a maintenu le taux directeur à 0,5%, en mettant en avant les risques sur la croissance japonaise et des prévisions d’inflation en ligne avec ses objectifs à partir de l’année fiscale 2026 (2% pour l’inflation hors produits frais et énergie, 1,8% pour l’inflation hors produits frais)4. Ceci conduirait la BoJ à augmenter ses taux très graduellement.

4 Comme lors de la réunion de septembre 2025, deux membres du conseil ont voté pour une hausse à 0,75%, souhaitant une normalisation plus rapide la de la politique monétaire.

5 Les nouvelles règlementations relatives aux normes environnementales dans le domaine de la construction, mises en place en avril 2025, se sont traduites par une chute de l’investissement immobilier au troisième trimestre 2025 (-9,4%), après une bonne résistance au deuxième trimestre.

En effet, les mauvais résultats du troisième trimestre témoignent de la fragilité de la conjoncture japonaise. Selon la première estimation publiée le 17 novembre, le PIB s’est contracté plus fortement que ce que nous anticipions, notamment en raison d’un recul plus élevé des exportations (-1,2%) et d’une chute de l’investissement des ménages5. Néanmoins, étant donné la révision à la hausse de l’activité au premier semestre, la croissance annuelle ne devrait pas être trop impactée et atteindrait 1,3% en 2025 (contre 0,1% en 2024). Mais au-delà de l’impact des droits de douane américains sur l’économie japonaise, c’est désormais la baisse du tourisme chinois qui pourrait entraver l’activité du Japon : à la suite de propos tenus par la première ministre japonaise sur la situation politique à Taiwan, la Chine a demandé le 14 novembre 2025 à ses citoyens de ne pas voyager au Japon. Or les touristes chinois ont représenté depuis le début de l’année 2025, 23% des touristes accueillis au Japon, ce qui pourrait affaiblir encore la croissance au dernier trimestre 2025.

Une politique budgétaire un peu plus expansionniste

Pour 2026, les performances de l’économie japonaise dépendront également des mesures qui seront mises en oeuvre par la nouvelle première ministre. Elle a ainsi annoncé un programme économique pour lutter en priorité contre la hausse des prix. Pour cela, plusieurs mesures ont été évoquées : la suppression d’une taxe sur l’essence à partir du 1er janvier 2026, des subventions pour limiter à nouveau les prix de l’électricité et du gaz et la suppression de la taxe sur la consommation pour les denrées alimentaires pendant deux ans. Seule la première est pour le moment actée. Sanae Takaichi a également prévu d’augmenter plus rapidement les dépenses liées à la défense (pour atteindre 2% du PIB dès l’exercice fiscale 2025 au lieu de l’exercice fiscal 2027 comme actuellement prévu6). Le gouvernement va proposer un budget supplémentaire pour l’exercice 2025 en cours, qui pourrait être plus ample que prévu étant donné les mauvais résultats conjoncturels du troisième trimestre 2025.

6 L’année fiscale 2025 est comprise entre avril 2025 et mars 2026.

Dans notre prévision d’octobre 2025, nous avions pris en compte une augmentation moins rapide des dépenses de défense et un moindre soutien au pouvoir d’achat des ménages. Dans ce contexte, nous anticipions une dégradation du déficit public de 2,5% du PIB en 2024 à 3% du PIB en 2026, mais une baisse de la dette publique de 237% du PIB en 2024 à 224% en 2026, en raison principalement d’un déflateur du PIB toujours dynamique. Avec le nouveau gouvernement, la politique budgétaire serait un peu plus expansionniste que dans notre scénario, conduisant à une dégradation un peu plus forte du déficit public et une moindre réduction du ratio dette publique/ PIB.