Revue de littérature des évaluations des plans de relance post-2020 et des évaluations préliminaires de Next Generation EU
La littérature consacrée à la mesure des effets des politiques budgétaires menées depuis la crise de Covid-19 dans l’UE, qu’elles soient nationales ou européennes, est assez limitée. Ces études sont rapidement recensées dans cette note. Les effets multiplicateurs y sont divers, notamment à court terme où ils sont compris entre une valeur proche de zéro (mais jamais négative, les contractions budgétaires expansionnistes ne semblent plus d’actualité) et une valeur proche de l’unité. Cette diversité de résultats ne reflète pas fondamentalement des diversités d’approche théorique, car les études recourent principalement à des modèles d’équilibre général, mais des différences sur l’état initial de l’économie au moment du choc budgétaire.
Ces estimations ont pour particularité d’être réalisées ex ante et il n’y a pas à notre connaissance d’analyses empiriques récentes et ex post des plans de relance européens. Par la suite, nous commençons par recenser les quelques études menées principalement sur données américaines qui permettent d’appréhender l’impact dynamique des chocs de politique budgétaire et d’en révéler les effets ex post. Elles pourraient en effet nourrir des applications européennes.
1 Les effets ex post des politiques budgétaires, une littérature américaine
Auerbach et al. (2022) évaluent l’impact ex post des dépenses budgétaires sur l’emploi, mais uniquement aux Etats-Unis. Pour résoudre les problèmes d’endogénéité entre dépenses publiques et conjoncture économique, ils étudient les seules dépenses du budget de la défense. Ils séparent en outre les impacts de ces dépenses par régions et grandes villes selon qu’elles étaient soumises à des mesures de confinement ou pas. Ils concluent que les effets multiplicateurs sur l’emploi sont nuls dans les villes et régions confinées, tandis que dans les villes et régions non confinées, 14 à 22 emplois étaient créés par million de dollars de dépenses. Exprimé autrement, le coût mensuel de préservation d’un emploi dans ces villes ou régions était compris entre 4000 et 6000 dollars, soit un coût se situant proche de la borne haute de la littérature empirique sur l’efficacité de la politique budgétaire à préserver l’emploi aux Etats-Unis. Barattieri et al. (2023) développent pour leur part une méthode originale d’estimation des effets des politiques budgétaires américaines sur l’activité industrielle et sur le PIB à partir de données d’achat public désagrégées et en recourant aux matrices input-output des industries. Ils identifient d’abord les chocs sectoriels (non géographiques) liés aux achats publics, avant de les combiner à l’exposition en amont et en aval des différents réseaux de production. Ils estiment alors des projections locales en panel à la Jorda et constatent que les achats publics ont des effets importants à la fois dans les industries bénéficiaires des contrats du ministère de la Défense et dans les industries de la chaîne d’approvisionnement de ces industries bénéficiaires. L’emploi augmente de manière significative dans les industries bénéficiaires et dans les secteurs fournissant des intrants intermédiaires à ces industries, tandis que l’emploi diminue en aval. La réaction des prix et des salaires suggère que l’augmentation de la demande d’intrants intermédiaires par les industries bénéficiaires se traduit par une augmentation des prix des intrants intermédiaires dans l’ensemble du réseau, ce qui expliquerait l’éviction de l’emploi en aval. Après agrégation des différents secteurs (leur approche globale), les auteurs concluent à un multiplicateur budgétaire positif sur le PIB américain, proche de 0,6 et persistant. Par souci d’exhaustivité, on peut également citer deux études qui étudient les effets des plans d’urgence dans l’UE, aux Etats-Unis et dans les pays émergents (de Soyres et al., 2022) et aux Etats-Unis seulement (Li et al., 2021) après le Covid-19. Ni l’une ni l’autre ne calcule d’effet multiplicateur sur l’emploi (préservé) ou sur l’atténuation de la récession pendant la pandémie. La première, parue sur le site de la Réserve fédérale des Etats-Unis, est très critique du caractère inflationniste des plans d’urgence dont les auteurs jugent qu’ils sont intervenus trop tardivement, mais ils n’apportent pas de preuve empirique de leur résultat. La seconde évalue l’impact géographique des mesures budgétaires de soutien aux ménages vulnérables américains et n’a pas de conclusion macroéconomique quant aux effets des plans d’urgence mis en œuvre aux Etats-Unis.
2 Les effets des politiques budgétaires en Europe depuis la crise de Covid-19, une littérature ex ante
Concernant maintenant les estimations des effets des politiques budgétaires européennes et non plus américaines, certaines études adoptent une vision macroéconomique matinée d’économie industrielle, en tenant compte des effets des fonds alloués aux industries bénéficiaires vers le secteur amont ou vers le secteur aval, à l’instar de Barattieri et al. (2023). C’est le cas notamment de Fernandez-Cerezo et al. (2023) qui trouvent un effet moyen des fonds alloués à l’Espagne dans le cadre de NGEU de l’ordre de 1,75% du PIB à un horizon de 5 ans par rapport à son état stationnaire. D’autres études adoptent plutôt une vision très globale et étudient l’allocation des fonds européens (ceux issus du programme NGEU) sur l’ensemble de l’Union européenne. C’est le cas notamment de Barbero et al. (2022) qui trouvent que les subventions allouées dans le cadre de NGEU augmenteraient le PIB de l’UE de 0,85% en 2026 par rapport à son état stationnaire. D’autres études brièvement discutées ci-dessous se concentrent sur les effets nationaux d’un choc budgétaire, national ou européen. Toutes les études recensées, sauf celle de Picek (2020) , s’inscrivent dans un cadre plus théorique qu’empirique et toujours en équilibre général, soit proche des études recourant aux modèles dynamiques stochastiques (DSGE) qui proposent des évaluations ex ante des politiques publiques. Les effets multiplicateurs budgétaires auxquels parviennent toutes ces études sont présentés de manière synthétique dans le tableau 1. Bosca et al. (2021) étudient les effets stabilisateurs de la réponse budgétaire espagnole à la crise du Covid-19 à l’aide d’un modèle DSGE. La baisse annuelle du PIB se modèrerait d’au moins 7,6 points dans la période la plus intense de la crise grâce à ces politiques stabilisatrices. Les effets attendus de l’utilisation des fonds européens NGEU sur l’économie espagnole sont également estimés. En supposant que l’Espagne puisse recevoir de l’UE entre 1,5 et 2,25 points de pourcentage (pp) de PIB, l’activité pourrait augmenter de 2 à 3 pp en 2024. Malliaropulos et al. (2021) appliquent également un modèle DGSE, cette fois à l’économie grecque, et ils concluent que l’utilisation complète des fonds européens de NGEU dédiés à la Grèce permettraient d’y accroître le PIB de près de 7% en 2026. Hinterlang et al. (2023) simulent le plan de relance budgétaire mis en place par le gouvernement allemand pour atténuer les coûts de la pandémie de COVID-19 dans un modèle DSGE multisectoriel. Ils constatent que, cumulées sur 2020-2022, les pertes de production par rapport à l’état d’équilibre peuvent être réduites de plus de 6 pp. Le multiplicateur budgétaire de long terme du plan allemand s’élèverait à 0,5. En s’appuyant sur le modèle macroéconométrique NiGEM, Watt et Watzka (2020) trouvent un impact attendu très limité au cours des trois premières années du plan NGEU, autour de +0,3 % du PIB pour l’UE ou la zone euro. Ce n’est pas surprenant car les versements des subventions dans le cadre du plan sont progressifs et culminent au cours de la quatrième année. La plupart des autres évaluations reposent sur des modèles DSGE développés et utilisés par la Commission ou par la BCE. Bankowski et al. (2021) utilisent le modèle EAGLE de la BCE et montrent que les subventions du plan NGEU pourraient augmenter le PIB agrégé de la zone euro d’1 pp d’ici 2025, tandis que les prêts (en supposant qu’ils soient entièrement réclamés) l’augmenteraient de 0,7 pp supplémentaire d’ici 2025. Pfeiffer et al. (2023) utilisent le modèle QUEST développé par la Commission européenne pour évaluer l’impact de NGEU et ses effets de débordement (spillovers, en anglais) jugés non négligeables. Pfeiffer et al. constatent que le plan NGEU devrait augmenter le PIB agrégé de la zone euro d’environ 1,5 point de pourcentage d’ici 2024. Ils montrent qu’un tiers de l’effet peut s’expliquer par les effets de débordement des échanges entre les États membres de l’UE (commerce intra-UE). Une simple agrégation des effets nationaux sous-estimerait donc l’évaluation des effets macroéconomiques de NGEU.
Nature de la relance | Pays | Effet multiplicateur | |
---|---|---|---|
Hinterlang et al. (2023) | Relance nationale | Allemagne | 0,3 (court terme) 0,5 (long terme, actualisé) |
Bosca et al. (2021) | Relance nationale NGEU (scénario haut : 100% subventions) |
Espagne | 1,5 (pic) 1,0 (moyen terme, actualisé) 1,33 (pic) 1,08 (moyen terme, actualisé) |
Fernandez-Cerezo et al. (2023) | NGEU | Espagne | 0,2-0,3 (moyen terme, non actualisé) |
Malliaropulos et al. (2021) | NGEU | Grèce | 0,9 (court terme) 1,95 (long terme, actualisé) |
Picek (2020) | NGEU | UE | [2,0 ; 5,0] (court terme, selon les pays de l’UE) |
Watt et Watzka (2020) | NGEU | UE | 0,8 (court terme) |
Bankowski et al. (2021) | NGEU | UE | 1,0 (court terme) [2,5 ; 5,0] (long terme, non actualisé) |
Barbero et al. (2022) | NGEU | UE | 1,2 (court terme) 3,25 (moyen terme, actualisé) |
Pfeiffer et al. (2023) | NGEU | UE | 1,0 (court terme) 6,0 (long terme, non actualisé) |
2.1 Références
Bańkowski, K., M. Ferdinandusse, S. Hauptmeier, P. Jacquinot, V. Valenta, 2021. « The macroeconomic impact of the Next Generation EU instrument on the euro area », Occasional Paper Series, ECB 255, January.
Barattieri, A., M. Cacciatore, et N. Traum (2023), « Estimating the effects of government spending through the production network », NBER Working Paper 31680, September.
Barbero, J., A. Conte, F. Crucitti, N.-J. Lazarou, S. Sakkas et S. Salotti (2022), « The impact of the recovery fund on EU regions: a spatial general equilibrium analysis », Regional Studies, DOI: 10.1080/00343404.2022.2123467.
Boscá, J.E., Doménech, R., Ferri, J., García, J.R. et Ulloa, C. (2021), « The stabilizing effects of economic policies in Spain in times of COVID-19 », Applied Economic Analysis, Vol. 29 No. 85, pp. 4-20.
de Soyres, F., A.M. Santacreu et H. Young (2022), « Fiscal policy and excess inflation during Covid-19: a cross-country view », FEDS Notes, 15 juillet.
Fernandez-Cerezo, A., E. Moral-Benito et J. Quintana (2023), « A production network model for the Spanish economy with an application to the impact of NGEU funds », Documentos de Trabajo. N.º 2305, Janvier.
Hinterlang, N., Moyen, S., Röhe, O. et Stähler, N. (2023), « Gauging the effects of the German COVID-19 fiscal stimulus package », European Economic Review, 154.
Li K, Foutz NZ, Cai Y, Liang Y, Gao S (2021) Impacts of COVID-19 lockdowns and stimulus payments on low-income population’s spending in the United States. PLoS ONE 16(9): e0256407. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0256407
Pfeiffer, P., J. Varga and J. in ’t Veld (2021) « Quantifying spillovers of next generation EU investment ». European Commission Discussion Paper 144, 15 July.
Watt, A. and S. Watzka (2020) « The macroeconomic effects of the EU recovery and resilience facility: A preliminary assessment ». IMK Policy Brief, no. 98.